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    Déjà ! Le coq chante. C’est l’heure de se lever ? Où suis-je ?

     

    Dans la basse cours les poules s’affolent et les oiseaux pépient à en perdre haleine. Un renard est-il dans l’enclos ? Les tourterelles se chamaillent et les canards se battent. Un chien aboie et la caravane passe. Je me rendors.

     

    Sur un chemin, un oiseau me siffle, que me dit-il ? De passer mon chemin au large de son nid où reposent ses oisillons ? je m’assois sur le talus pour savourer ses trilles, un peu répétitives à la longue. Les notes très aigues finissent pas me casser les oreilles. Je reprends mon chemin accompagné par le roucoulement plus grave des tourterelles. Mon rêve s’achève dans un duo de grognement et braiment sur fond de coucher de soleil. J’ouvre les yeux, il fait noir. C’est encore la nuit le chant des crapauds à la recherche d’une partenaire me le confirme. C’est l’heure du ravitaillement pour les rapaces nocturnes et pour moi de sombrer à nouveau dans les limbes. Je pénètre dans un monde inconnu bercée par le murmure de ruisseaux qui serpentent aux pieds de mon lit. La nuit se densifie, je me sens perdue au milieu de la pampa. Je ne reconnais pas les bruits qui m’entourent. Au loin un orage s’annonce, le tonnerre approche, les éclairs commencent à illuminer mon lit. J’entends des trombes d’eau s’abattre sur la toiture puis dégouliner à vive allure le long des tuiles. Je m’imagine dehors, trempée, les gouttes de pluie ruisselant sur mon visage, les éclairs dessinant des formes insolites dans le ciel noir charbon. Je me mets à l’abri d’un rocher pour écouter Saint Pierre rouler ses tonneaux, comme disait mon père. Les tonneaux sont si nombreux que j’en perds le compte, la récolte a dû être abondante, cette année dans le ciel. Ils vont se souler au paradis ! Se battraient-ils là-haut, on dirait des bombardements. Mais non ce sont les portes du paradis qui s’ouvrent à grands bruits pour déverser le nectar des dieux.

     


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    Il est 11h30. C’est l’heure d’ouvrir frigidaire, placard, congélateur pour laisser monter l’inspiration et la créativité.

     

    Dans un tiroir du frigo se cachent de belles aubergines mouchetées, ventrues et bien fermes. Je sens qu’elles ont envient que je m’occupe d’elles.

     

    -Allez mes belles, une bonne douche sous l’eau fraiche pour vous dépoussiérer. Un petit coup de couteau pour vous étêter et adieu les piquants ! Et hop un bon coup de couteau pour vous diviser en deux dans le sens de la longueur. Que votre chair est tendre pour accueillir la lame de mon scalpel dans vos entrailles au plus profond de votre être. Maintenant je m’occupe de l’ail, l’ami qui va vous sublimer.

     

    - Hé toi, tête d’ail ! Merci de nous offrir quelques gousses bien charnues et épicées. Vous déshabiller et vous couper en rondelles reste toujours aussi désagréable : ça pègue, ça colle aux doigts, ça pique les écorchures. Enfin vous voilà prêtes à larder le ventre de ces dames les aubergines.

     

    -Maintenant mes belles ventrues je vous dépose sur la plaque du four avant de vous soupoudrez de sel et de curry. Puis je termine ce savant badigeonnage par des larmes d’huile d’olives. Enfin, c’est l’heure de vous faire dorer dans un four à deux cents degrés. Cette chaleur ardente va ramollir vos chairs pour qu’elles accueillent avec grande satisfaction les essences d’ail, de curry et d’huile d’olive.

     

    A tout à l’heure mes belles pour une succulente dégustation.

     


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    Après 8heures de marche nous faisons étape dans une auberge dont la spécialité est l’aligot. Affamés et harassés nous attendons avec impatience ce repas traditionnel de l’Auvergne. Nous nous installons par table de quatre à cinq personnes, les conversations sur l’étape du jours sont au centre des conversations. L’aubergiste apparaît. Tel un animateur TV il commence son show. Il tourne l’aligot avec une grande cuillère puis l’étire. Un voile blanc crème apparait cachant notre hôte puis finit par se déchirer et retomber dans l’énorme marmite. Au milieu d’explications qui n’en finissent plus l’aubergiste recommence l’'étirement de l’aligot un nombre incalculable de fois. Les rires fusent, l’excitation monte. C’est le cérémonial de l’aligot sensé renforcer l’amitié entre les convives et débrider la cordialité”. Mon estomac crie famine. Enfin le silence, l’aligot est dans nos assiettes. Tout le monde est à la dégustation de cette pate crémeuse et onctueuse au goût laiteux et rude de l’Aubrac. Chacun peut se resservir autant de fois qu’il veut et je me n’en prive pas. Y a-t-il eu un dessert ? Ma mémoire n’en garde pas de trace. La star de la soirée était l’aligot. L’ambiance joyeuse et les saveurs enivrantes de ce plat typiquement auvergnat nous ont réchauffées le cœur et le corps .

     


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    Incipit + 1 phrase

     

    Un esprit dans la forêt. Des murmures l’attirent vers l’étang couvert de brumes où il va se jeter pour en finir avec la voix obsédante de son père qui lui crie dessus depuis son enfance.

     

     

     

    Incipit + 5 phrases

     

    Un esprit dans la forêt. Un chevreuil passe, il le suit sans peur de perdre son chemin, comme on suit l’évidence du moment. Arrivé au bord d’un torrent, il aperçoit une forme élégante et brumeuse entrain de chanter une berceuse à un enfant sans visage. Fasciné il s’endort entre deux racines rêvant d’une chasse à l’homme dont il a été victime voilà bien des années. Pieds nus, en haillons, le cœur battant dans ses tempes il trébuche et voit les crocs d’un chien loup approcher de sa gorge. Dans le noir il sent battre le cœur de la terre qui l’accueille et le rassure pour affronter ses monstres.

     

     

     

    Incipit + 20 phrases

     

    Un esprit dans la forêt. Des yeux jaunes dans la nuit noire. Des hululements lugubres rythment la marche souple du prédateur. A qui va-t-il faire peur durant cette nuit sans lune ? Il se laisse guider par son instinct, s’imagine souple comme un félin, léger comme un elfe, déterminé comme la force de vie. Ses narines captent une odeur de fumée. A travers les branches dansent des flammes tel un feu follet lui indiquant sa destination nocturne. Dans une clairière, à côté d’une tente et d’un feu, une voix féminine s’élève accompagnée par une guitare. Tout est calme et joyeux. Voilà les proies idéales. Dans un rugissement démoniaque il arrache les piquets de la tente et repart sous le couvert des arbres. Le chant s’arrête. L’inquiétude emplit la clairière. Une apparition fantomatique menace les impudents des pires calamités s’ils ne quittent pas les lieux immédiatement. Ugo n’en croit pas ses yeux. C’est encore ce dégénéré d’Alex qui se croit le maître de la forêt. En silence, avec détermination, ils remontent la tente. Ils éteignent le feu. La chouette hulule. Ils s’endorment. L’esprit de la forêt veille.

     


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    Tout est immobile, pas un souffle d’air n’agite les buissons accablés par le manque d’eau. A l’ombre d’un parasol incliné vers la terre couverte de feuilles mortes, une table attend. Des brindilles éparses sur la nappe rivalisent avec quelques feuilles séchées. A travers un dédale de poussière une fourmi cherche son chemin en quête d’un hypothétique festin. Tout paraît calme et paisible. Usés pas les ans, deux fauteuils tressés de plastique vert attendent celui ou celle qui leur ferra retrouver l’usage de leurs membres. Ouverts sur un mur de crépi délavé, des volets vert foncé invitent à lever la tête pour tenter d’apercevoir à travers la fenêtre entrouverte l’habitant du lieu. Fait-il la sieste ?

     

    Rien ne bouge sauf les vibrations sonores. Les cigales commencent à s’égosiller pour concurrencer une carreleuse en pleine action. Des oiseaux tentent d’arbitrer la querelle, mais un coucou leur répond vertement. Un papillon jaune passe indifférent au litige. Soudain un silence, tel une respiration, calme le jeu, le temps de laisser passer un imperceptible courant d’air qui fait frémir les franges du parasol.

     

    David caresse d’une main tremblante le dossier d’un des fauteuils. Avec précaution il le soulève pour estimer la capacité de ce dernier à recevoir sa forte corpulence. Autrefois le fauteuil l’accueillait avec Lili sur les genoux ; Aujourd’hui il risque de rester coincé entre ses bras mais il prend le risque. Il a besoin de se souvenir des jours heureux de sa jeunesse, des rires et des chants du bon vieux temps. Lili… Il revoit sa peau brune, ses yeux bleus coquins et pleins de ruse. Comment est-elle maintenant ? Il appréhende de la revoir après tout ce temps. Il l’attend dans l’immobilité du jardin devant le vieux cabanon.

     

    Lili arrive à petits pas faisant crisser les cailloux sous ses chaussures. Lentement elle regarde à droite et à gauche. Cela fait si longtemps. Elle pensait avoir tout oublié : sa jeunesse insouciante qui a pris fin rapidement avec une grossesse prématurée et les soucis pour élever un enfant sans père. Et voilà qu’il refait surface le beau David avec son baratin de gosse de riche. Il l’a retrouvé sur internet. Elle n’a pas pu dire non à une rencontre. Voilà, elle y est, le parasol fleuri aux franges blanches lui fait signe d’avancer sans crainte. Il est là.

     

    Lili aperçoit une personne corpulente engoncée dans un fauteuil d’extérieur, le crâne dégarni, la tête penchée ; on dirait qu’il compte les fourmis qui serpentent sur l’éternelle nappe jaune. Lentement elle contourne la table et vient s’asseoir dans l’autre fauteuil. Ils se font face en silence. David lève les yeux et rencontre deux yeux bleus au regard grave. « Je suis au courant pour ton fils, ma mère m’a raconté avant de mourir : la lettre m’annonçant ton état qu’elle a lu et déchirée avant de m’envoyer faire des études à Paris. Comment s’appelle-t-il ? » Elle hésite avant de répondre, scrute ce visage marqué par le temps en se demandant s’il a vraiment changé. « Jérôme. Il a tes yeux noirs. » Puis elle lui raconte Jérôme, son caractère joyeux, ses projets à l’autre bout du monde, ses amours déçus, bref la vie de son enfant vue à travers ses yeux de mère. Lui, le père absent, écoute. Lui qui a tout eu , réussite professionnelle, vie familiale sans histoire, a tout perdu et se retrouve seul avec ses souvenirs et ses regrets. Il écoute Lili et découvre une femme encore pleine de vie malgré les difficultés traversées.

     

    « Parle moi de toi et de ta vie d’aujourd’hui. Qu’est ce qui te rend si vivante ?

     

    -      La vie est partout autour de nous, dit-elle, Ne la sens-tu pas. Lève la tête et regarde. De la fourmi jusqu’à la tourterelle tout est mouvement. La vie est faite de hauts et de bas, d’agitation et de calme parfois d’immobilité mais ça ne dure jamais longtemps.

     

    -      Toi tu es amoureuse, c’est pas possible autrement. Qui est l’heureux élu ?

     

    -      Je suis amoureuse de la vie. Je partage plein de bons moments avec les personnes que la vie met sur mon chemin, mon compagnon en fait parti mes amis également ainsi que plein d’inconnu de passage dans mon univers, sans oublier Jérôme même si je ne le vois pas souvent.

     

    -      Jérôme est-il au courant de mon existence ?

     

    -      J’ai essayé de répondre à ses questions, mais je n’avais pas de réponse à toutes ses questions.

     

    Après un moment de silence où l’on entend les premiers chants de cigales de la saison, David ose une ultime question : « Si je contacte Jérôme crois-tu qu’il acceptera de parler avec son père absent ? »

     

    Lili sort de son sac un bout de papier et un stylo, écrit lentement un numéro de téléphone, le tend à David.

     

     

     

    Salba

     

    Juin 2019

     


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